
Une autre élection américaine Le Frente Amplio remporte les élections en Uruguay avec 51% des voix
Dimanche en Uruguay il s’est produit -le peuple a produit- un événement qui nous emplit de bonheur et d’espoir : le Frente Amplio, union de la gauche uruguayenne, a remporté les élections présidentielles et législatives avec 51% des voix.
Plus de trente ans après les élections où il se présentait pour la première fois en 1971, obtenant 18% des voix ; près de vingt ans après la fin d’une dictature qui visait à l’étouffer dans le sang et la terreur, c’est un Frente Amplio, certes recomposé à l’image du monde d’aujourd’hui, mais pleinement fidèle à lui-même, ayant fait ses preuves depuis 15 ans à la mairie de Montevideo (plus de la moitié des habitants du pays) et d’autres villes du pays, qui met fin à près de deux siècles d’un bi-partidisme qui n’est plus que l’ombre des milieux conservateurs et affairistes.
Déjà en 1999, le FA attaignait 40% des voix et aurait gagné les élections si ce n’était un changement de loi électorale purement opportuniste. Cette fois-ci, la victoire était sûre depuis plusieurs mois : l’enjeu était la majorité absolue au premier tour, et c’est gagné !
Le sénateur le plus voté du pays avec 30% des voix a été Pepe Mujica, fondateur et leader Tupamaro [1]. Un sénateur qui a vécu 13 ans de prison et de tortures comme « otage » de la dictature. Aujourd’hui il va au sénat en mobylette et en jeans, et continue de tenir, avec son épouse, un poste au marché de ventes de fleurs.
Dimanche, en Uruguay on votait aussi pour un référendum : à plus de 65% il est décidé d’inscrire dans la Constitution la nationalisation des ressources d’eau douce et des services publics d’adduction et d’assainissement d’eau.
Voilà les fait, on en parle assez peu et ils sont assez particuliers dans le monde d’aujourd’hui pour que j’ai envie de raconter comment on ressent cela d’ici, à plus de 10.000 km.
Si vous voulez en savoir plus, lisez ce texte d’Eduardo Galeano qui, à la veille des précédentes élections, raconte toujours avec autant de piquant les particularités de l’Uruguay. Dans le même site, Raúl Zibechi fait une intéressante analyse politique de la trajectoire de la gauche en Uruguay.
Avec Lula au Brésil, Chavez au Venezuela, et même d’autres pays comme l’Argentine avec Krishner, le Chili ou l’Equateur, l’Amérique Latine a enfin des gouvernements de gauche. C’est une Amérique Latine ravagée par vingt ans de néolibéralisme et de démantèlement du secteur public, minée par la dernière crise monétaire et à nouveau l’explosion de la dette. Mais c’est une gauche diverse et recomposée, avec ses spécificités dans chaque pays, avec un ancrage concret auprès de sa base électorale, forte d’une expérience de terrain, par exemple dans la gestion municipale ou l’autogestion de quartiers.
On verra bientôt quel sera le nouveau président des Etats Unis. Je ne pense pas que l’empire ait beaucoup changé. Il y a peu il a prouvé au monde qu’au besoin il s’accommode toujours d’inhumanités comme la guerre, la justice d’exception ou la torture. En 2002 il a tenté (mais fort heureusement raté) un coup de force au Vénézuela, finalement assez similaire à celui du Chili 30 ans avant.
Mais cette fois-ci il sera peut-être trop occupé par les difficultés de ses guerres lointaines pour risquer des interventions de plus grande envergure en Amérique Latine.
Tout du long, un ami nous a tenus informés par mail. Jeudi il racontait l’émotion du dernier rassemblement de campagne électorale, qui a probablement réuni plus de 300 000 personnes à Montevideo, ville d’un million et demi d’habitants. Les photos n’ont fait le tour du monde que dans des réseaux plutôt confidentiels, mais n’en sont pas moins impressionnantes.
Hier il témoignait de la joie de la victoire, la fête dans la rue jusqu’au bout de la nuit, le réveil en se disant que ce sera loin d’être simple, mais qu’un immense espoir est là.
Un autre ami, qui a passé plusieurs années comme diplomate français en Uruguay m’a appelé du Pakistan, où il est en poste actuellement. Il cherchait le téléphone de mes parents et d’autres amis en Uruguay pour partager ce moment. Dans sa voix on entendait la nostalgie du « petit pays » et il racontait sa perplexité face à cet autre bout du monde et sa difficulté à le comprendre.
Froidement, tout ceci peut être vu comme un micro-phénomène qui n’a pas grand chose à voir avec la réalité de ce monde. Mais moi, au contraire je me plais à rêver qu’il y a là quelque chose de magique où cet Uruguay est l’expression d’une certaine facette de l’humanité, qui peut finir par s’exprimer plus largement.
Avec l’exil politique et économique, on est plus de 700 000 uruguayens à l’étranger, plus de la septième partie de la population. Vendredi prochain 5 novembre, ceux qui sommes à Paris faisons la fête au CICP, 21 ter rue Voltaire. Si vous voulez venir faire la fête avec nous, soyez les bienvenus.